« Musique contemporaine et inspiration extra-musicale. Œuvres de François-Bernard Mâche, Kaija Saariaho, Pascal Dusapin »
Márta Grabócz (Prof. émérite, Université de Strasbourg – équipes de recherche ACCRA, CREAA -; membre honoraire de l’IUF)
Dans la musique contemporaine – comme dans la musique du passé (on pense surtout au XIXe siècle) – les tendances se distinguent, en simplifiant, selon deux grandes catégories. Il existe des œuvres qui sont déterminées par une réflexion sur les quatre paramètres principaux de du son[1], sur la technique musicale (« l’écriture musicale »), et on connait aussi des créations musicales inspirées par les modèles extramusicaux, car le compositeur en question veut nouer des rapports aux monde qui nous entoure, aux unités culturelles de notre époque.
Dans les œuvres du XIXe siècle, d’après « l’enseignement » ou la pratique de Berlioz et Liszt, ce fut la description d’un programme littéraire ou visuel qui précédait les premières pages de telle ou telle partition. De nos jours, les inspirations, les programmes ou les modèles extramusicaux sont très diversifiés. Ils touchent à beaucoup de domaines : littérature, peinture, modèles naturels, mondes des animaux, astrophysique, la synesthésie, les théories scientifiques, etc. Dans mon intervention, je présenterai différents modèles qui ont inspiré les trois compositeurs évoqués.
François-Bernard Mâche (*1935) compositeur et philosophe de la musique, de la zoo-musicologie, a toujours utilisé des modèles naturels dans sa musique, puis ils ont été complété des modèles visuels, scientifiques, mythologiques, des langues en voie de disparition, etc. (voir son site https://fbmache.fr). Il a publié plusieurs livres concernant les invariants (universaux) en musique, et leurs analyses, leurs applications dans sa propre musique. On écoutera une de ses pièces récentes : Vigiles (2018, pour flûte, clarinette, guitare ou harpe, piano, échantillonneur et sons d’oiseaux préenregistrés). Dans cette pièce, le titre se réfère aux chants liturgiques chrétiens la nuit précédant une grande fête, la liturgie de Vigiles, c’est-à-dire de veille. Le « modèle » de cette pièce est l’oiseau-vigile qui rivalise avec le rossignol, et qui chante surtout la nuit au printemps : la rousserolle des buissons. Une œuvre utilisant des modèles d’oiseaux de 1974, Naluan, sera également évoquée, à titre de comparaison.
Kaija Saariaho (1952-2023) s’inspirait des visions, des dessins ou encore de la mythologie dans deux de ses œuvres ici choisies. Le point de départ de Lichtbogen (1986, pour flûte, ensemble instrumental et dispositif électronique en temps réel) fut la vision d’une aurore boréale dans le ciel arctique. Elle a dessiné l’image, puis l’a transcrite sur papier millimétré. Le résultat a déterminé la macro-forme de la pièce (évolution des sons dans l’espace, leur densité, la progression des spectres, etc.). La pièce Orion (2002, pour grand orchestre), trouve des associations à la figure du chasseur mythique d’Orion, notamment à trois moments de sa vie selon les mouvements: I. Memento mori – II. Ciel d’hiver – III. Le chasseur. (Voir aussi : saariaho.org/).
Pascal Dusapin (*1955) se réfère souvent, lui aussi, soit à une inspiration littéraire (Beckett, etc.), à une image ou dessin, ou encore aux théories scientifiques. Dans son cycle pour orchestre, intitulé de manière paradoxale « Sept Solos pour orchestre » (1991-2008), il utilise comme une des références, les sept formes de catastrophes élémentaires décrites par René Thom. La première pièce du cycle s’intitule « Go » [Allez], qui utilise comme modèle structurel la première forme de catastrophe appelée « Pli ».
Il va sans dire que l’approche de toutes ces œuvres s’inspirant de modèles extramusicaux, exige une interprétation, une analyse nouvelle – c’est ce qu’essaiera de démontrer la présentation.
[1] Hauteur, timbre, durée, nuance.
Márta Grabócz est professeur émérite à l’Université de Strasbourg (UFR Arts, ACCRA, ITI CREAA), membre honoraire de l’IUF, membre extérieur de l’Académie des Sciences de Hongrie. Elle a publié quinze livres (dont cinq monographies) dans les domaines de la signification, la narratologie musicales et de la musique contemporaine. Parmi les derniers ouvrages parus : Musique, narrativité, signification (2009) ; Les Opéras de Peter Eötvös entre Orient et Occident (2012) ; Les grands topoï du XIXe siècle et la musique de F. Liszt (2018) ; F.-B. Mâche. Le compositeur et le savant face à l’univers sonore (avec G. Mathon, 2018) ; Modèles naturels et scénarios imaginaires dans les œuvres de P. Eötvös, F.-B. Mâche et J.-C. Risset (2020) ; Narratologie musicale. Topiques, théories, stratégies analytiques (2022) ; György Kurtág : les œuvres et leurs interprétation (dir. M. Grabócz, J-P. Olive, Á. Oviedo, 2021). Elle s’occupe également de la publication des écrits de compositeurs contemporains.
Période d'ouverture : Automne
Jeudi 28 novembre 2024 de 18h à 19h30.